ACV et biodiversité

L’ACV (analyse de cycle de vie) permet aux industriels d’étendre les frontières de leur analyse au-delà de leurs usines, cet outil reste peu adapté aux mesures des impacts sur la biosphère. Le principal obstacle est l’absence de mesure simple pour la biodiversité : de nombreuses interactions existent au sein des écosystèmes et il est difficile d’intégrer les risques d’extinction d’espèces ou la diversité génétique des populations aux indices utilisés en ACV (1).

Le principe de l’ACV est de quantifier les impacts d’un produit de l’extraction des matières premières jusqu’à son élimination en fin de vie : « du berceau à la tombe ». Le principe est de faire un inventaire des flux de matière et d’énergie par étape du cycle de vie avant de procéder à une évaluation des impacts environnementaux en calculant la contribution de chaque flux aux impacts considérés. Les compartiments couramment pris en compte sont : l’effet de serre, l’acidification, l’épuisement des ressources naturelles, l’eutrophisation, … Les sources d’incertitudes demeurent, néanmoins, importantes (2).

L’ACV est aujourd’hui une démarche encadrée par des normes, notamment l’ISO 14040. Elle est la méthode la plus employée pour calculer les impacts environnementaux des produits, est activement soutenue par les politiques publiques et est utilisée par de nombreuses entreprises privées3. Cependant, actuellement, la biodiversité n’est pas bien prise en compte dans les démarches d’ACV (4).

Contrairement aux émissions de gaz à effet de serre, qui peuvent être converties en tonne équivalent CO2, il n’existe pas de mesure simple de la biodiversité, ce qui rend complexe son introduction dans les ACV (5). A cela, il faut ajouter le manque de connaissance de certains taxons comme les invertébrés ou les champignons, ce qui fait que l’évaluation complète de l’impact d’un projet sur la diversité biologique est impossible (6). Il serait envisageable de faire le lien entre les impacts calculés dans une ACV sur les autres composantes de l’environnement et la biodiversité, mais les réponses des écosystèmes sont complexes à évaluer en raison d’interactions multiples entre espèces (7). De plus, il est important de tenir compte du délai entre la perturbation d’un système écologique et l’atteinte d’un état d’équilibre, ce qu’il n’est pas possible de faire dans une ACV (8).

L’ACV est avant tout un outil pour prendre en compte les « impacts » et n’est pas du tout appropriée pour prendre en considération les dépendances, ni les enjeux spatiaux comme la fragmentation d’écosystèmes par exemple ou encore la surexploitation de ressources. De plus c’est un outil uniquement quantitatif, ne pouvant donc intégrer les enjeux qualitatifs en lien avec la qualité des écosystèmes ou des « services écosystémiques ».

Le fait que la biodiversité soit absente de ce système peut avoir des conséquences importantes, par exemple, une modification du procédé de fabrication d’un produit pourrait avoir des effets bénéfiques sur l’ensemble des compartiments environnementaux considérés mais des impacts désastreux sur la biodiversité. Citons, par exemple, le cas de la coccinelle asiatique Harmonia axyridis. Elle a été utilisée pendant longtemps en lutte biologique contre les pucerons (depuis 1990 en Europe mais depuis 1916 en Amérique du Nord) (9).

Elle a permis de réduire l’utilisation de produits phytosanitaires et donc a entraîné une baisse de la pollution des eaux et des sols. Le problème est que cette espèce est devenue envahissante et entraîne des dommages aux écosystèmes par la compétition et la prédation sur des espèces non-cibles (coccinelles natives, lépidoptères, …) (10).

Il y a bien, dans ce cas, une dualité entre une réduction des dommages environnementaux sur des compartiments pris en compte dans les ACV, et un impact négatif sur la biodiversité.

(1) Natureparif (Île-de-France) et Liliane Pays, Entreprises, relevez le défi de la biodiversité: un guide collectif à l’usage des acteurs du monde économique (Paris: Victoires éd., 2011).
(2) ADEME, Introduction à l’analyse de cycle de vie.
(3) Danielle M. Souza, Ricardo F.M. Teixeira, et Ole P. Ostermann, « Assessing Biodiversity Loss due to Land Use with Life Cycle Assessment: Are We There Yet? », Global Change Biology 21, no 1 (janvier 2015): 32‑47, doi:10.1111/gcb.12709.
(4) Trent D. Penman, Brad S. Law, et Fabiano Ximenes, « A Proposal for Accounting for Biodiversity in Life Cycle Assessment », Biodiversity and Conservation 19, no 11 (octobre 2010): 3245‑54, doi:10.1007/s10531-010-9889-7.
(5) Natureparif (Île-de-France) et Pays, Entreprises, relevez le défi de la biodiversité.
(6) Penman, Law, et Ximenes, « A Proposal for Accounting for Biodiversity in Life Cycle Assessment ».
(7) Ibid.
(8) Ibid.
(9) « INRA – Routes d’invasion de la coccinelle asiatique », consulté le 19 mars 2015, www.inra.fr .
(10) Ibid.